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Puis-je photographier ou filmer l’action policière ?
Question numéro 479 du Manuel, Chapitre 17 : Réagir en cas d’abus de la police
mardi 30 juin 2015
En principe OUI parce qu’il n’existe aucune interdiction générale de photographier ou filmer les actions de la police. Il est légitime que des citoyens et journalistes filment ou photographient des interventions policières, que ce soit pour informer ou récolter des preuves du déroulement des événements et ce n’est en principe pas une infraction [1].
Lorsque les policiers filment une intervention, eux-mêmes ou par des caméras de surveillance, il arrive que les scènes de leurs brutalités soient malencontreusement absentes du film ou indisponibles pour des raisons techniques [2].
Comme le dit l’autorité de contrôle de la police en France (une espèce d’équivalent du Comité P), les forces de l’ordre « doivent considérer comme normale l’attention que des citoyens ou des groupes de citoyens peuvent porter à leur mode d’action. Le fait d’être photographiés ou filmés durant leurs interventions ne peut constituer aucune gêne pour des policiers soucieux du respect des règles déontologiques » [3].
MAIS dans certains cas, les policiers peuvent me demander de ne pas prendre d’images :
- pour protéger la vie privée des personnes arrêtées (mais ça ne les autorise pas à m’empêcher de photographier ou filmer toute intervention) [4] ;
- si c’est nécessaire pour « le maintien de l’ordre public, la sécurité des personnes, le respect du secret professionnel ou la protection de la vie privée » ou si leur chef leur en a donné l’ordre [5] (ils peuvent par exemple m’éloigner d’une scène de crime pour laisser travailler les enquêteurs et protéger les victimes des paparazzis) ;
- s’ils pensent que leur droit à l’image ou leur vie privée serait violé, par exemple parce qu’ils craignent des représailles de la part de malfaiteurs si leur photo est diffusée [6], mais ceci ne vaut en principe pas en cas d’intervention dans un lieu accessible au public [7].
L’argument de la vie privée ou du droit à l’image [8] s’oppose au « droit de contrôle démocratique, à savoir ce qu’on appelle la ’fonction de chien de garde’ de la presse dans une société démocratique », qui peut être invoqué par les journalistes mais aussi par « toute personne remplissant un tel rôle » [9].
En pratique les policiers intimident parfois les curieux, ou les journalistes professionnels, et encore plus ceux qui veulent obtenir des preuves de leurs abus [10] . Pour m’éloigner des lieux, ils ne peuvent utiliser la force qu’après m’avoir demandé de partir et m’avoir averti de leur violence potentielle [11] (n° 101-106, 43).
En définitive, si je diffuse la photo ou le film montrant des policiers en action, ce seront les juges qui décideront de ce qui devra primer : la vie privée du policier ou mon droit à prendre des images et celui du public d’être informé de leur intervention [12].
On a pu juger que le droit à l’image ou à la vie privée du policier n’est pas violé si je publie par exemple :
- un tract pour dénoncer l’évacuation d’une église occupée par des sans-papiers, avec la photo de l’intervention où apparait un policier, si mon tract est « en relation directe avec l’événement » [13] ;
- la photo de la reconstitution d’un braquage sur laquelle on peut reconnaître trois policiers, que j’ai pu prendre malgré les barrages de sécurité [14].
Mais je risque d’être condamné à payer une indemnité au policier si :
- je publie une photo qui permet de l’identifier accompagnée d’un commentaire insultant ;
- je colle sa photo (où il est reconnaissable) à côté d’un article qui n’a aucun lien avec lui et qui le met dans une situation embarrassante.
Lorsque j’utilise une photo ou un film dans une publication, un site internet ou un réseau social, j’évite tout risque de condamnation si je fais en sorte que les policiers ne soient pas reconnaissables (par exemple en floutant leurs visages) [15] . Le film et les photos que j’aurai prises pourraient être utilisés dans une procédure en justice contre les policiers abuseurs [16].
[1] Un traitement illégal de données personnelles, dont font partie les images permettant d’identifier des personnes, pourrait l’être (LVP 39), mais le droit à la vie privée du policier est amoindri en cas d’utilisation journalistique ou assimilée (CPVP, Recommandation n° 02/2007 du 28 novembre 2007 concernant la diffusion d’images, § 23- 25 ; LVP 3, § 3, a), b), c) et d)) et doit s’effacer si l’intérêt de la liberté d’expression, de la liberté de la presse ou du droit à l’information des citoyens est supérieur (CEDH 10 ; Const. 25). La liberté d’expression comprend la publication de photos (CEDH [GC], Von Hannover c. Allemagne (no 2), 7 février 2012, § 103).
[2] A propos d’un manifestant frappé de manière totalement injustifiée, un tribunal note que « si la gendarmerie a elle-même filmé une partie de la manifestation, et notamment l’arrestation du demandeur, les circonstances malheureuses ont fait que les événements précédant immédiatement cette arrestation n’auraient pu être enregistrés, ce qui est assez troublant » (Civ. Liège, 26 juin 2001, JLMB, 2002, p. 1039 et ss.). Selon l’avocat d’une victime de violences policières qui a visionné les images des caméras de surveillance du commissariat pendant le passage de la victime, « C’est curieux parce qu’on voit l’entrée au commissariat, et puis on voit une autre caméra où on ne voit plus rien. Et pendant 13 minutes, de 18h29 à 18h42, il n’y a plus rien sur les caméras et on ne sait pas où sont passées les images. Des images qui d’après moi montreraient qu’il a été tabassé au commissariat », (« Bruxelles : enquête controversée sur une bavure policière supposée », RTBF.be, 6 mars 2013).
[3] Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) en France, Avis du 5 avril 2006, saisine n° 2005-29, Rapport annuel 2006, p. 32.
[4] LFP 35. « La disposition en question ne vise pourtant pas à interdire à la presse de suivre et même de filmer toute intervention policière. Le fait de filmer l’intervention de la police, n’est pas interdit non plus. Ce que la disposition tend expressément à interdire, dans ce contexte, aux fonctionnaires de police c’est de soumettre inutilement des personnes arrêtées, détenues ou incarcérées à la curiosité publique » (Circulaire LFP, point 6.4.4).
[5] Code de déontologie des services de police, art. 64 (AR du 10 mai 2006) ; LFP 35. La légalité de l’ordre pourrait être discutable et faire l’objet d’une plainte, par exemple au chef de corps du service de police concerné.
[6] Comme le souligne l’Association des journalistes professionnels (AJP), on voit mal comment la publication de leur photo, sans mentionner leur nom, permettrait à un caïd de se venger alors que ce même caïd pourra toujours connaître par exemple le nom complet du juge qui l’aura condamné (Jean-François DUMONT, « Photographier un policier : le débat », Journalistes, n° 111, janvier 2010, pp. 4-5).
[7] Selon la CPVP, on peut déduire qu’une personne qui s’expose en public consent à la prise de l’image. Les policiers, qui ont fait le choix d’un métier où ils interviennent fréquemment dans des lieux publics, ne devraient pas invoquer leur droit à l’image (Jean-François DUMONT, « Photographier un policier : le débat », Journalistes, n° 111, janvier 2010, pp. 4-5).
[8] Le droit à l’image ne protège qu’un « portrait » et pas nécessairement la publication d’une photo où des policiers apparaissent dans une scène plus large (Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, art. 10).
[9] CPVP, Recommandation n° 02/2007 du 28 novembre 2007 concernant la diffusion d’images, § 23- 25 ; LVP 3, § 3, a), b), c) et d).
[10] D.B., « Les policiers en infraction n’appréciaient pas d’être photographiés : il se fait verbaliser et embarquer » 24 avril 2013. Des journalistes sont fréquemment malmenés par des policiers qui refusent d’être photographiés (Jean-François DUMONT, « Ces images sont-elles interdites ? », Journalistes, n° 111, janvier 2010, p. 1) ; Des badauds qui filmaient une intervention policière avec utilisation de chiens mordant des passants, ont été poursuivis et ont obtenu un non-lieu (Chambre du conseil de Bruxelles, 17 mars 2009, inédit, notice BR. 52.99.1322/07).
[11] LFP 1 et 37. L’usage de la force par un policier dans le seul but de préserver son propre droit à l’image ou à la vie privée ne semble a priori pas légitime. On peut douter que protéger son propre droit fasse partie des missions policières prévue par la loi. La force publique est « instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, art. 12, pas directement applicable en Belgique mais source de référence pour toute démocratie et dont le contenu de LFP 123 s’inspire). Par ailleurs, cet objectif peut être atteint autrement, notamment par une procédure civile en cas de publication, et semble donc à tout le moins disproportionné.
[12] Les critères pertinents pour effectuer la balance des intérêts sont fixés par la CEDH (CEDH [GC], Axel Springer AG c. Allemagne, 7 février 2012 ; CEDH [GC], Von Hannover c. Allemagne (no 2), 7 février 2012, § 108-113). Selon certains juges, il faut tenir compte de la nature publique du métier de policier, ce qui implique une vie privée moins bien protégée que pour un citoyen ordinaire (CEDH [GC], Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, 17 décembre 2004, opinion dissidente de 8 juges).
[14] Selon la Cour de cassation française, ne relève pas de la vie privée « une photographie, prise dans un lieu public pour illustrer un article consacré à l’actualité à propos d’une reconstitution sur laquelle figurent, d’une manière accessoire, les personnes qui se trouvaient impliquées dans l’événement par l’effet des circonstances tenant exclusivement à leur vie professionnelle » (Cass., fr. 10 mai 2005, n° 02-14730)
[15] Il n’est plus question de droit à l’image ni de donnée personnelle si le policier n’est pas reconnaissable (LVP 1 § 1er ; loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, art. 10).
[16] Toute personne peut recueillir des informations pour les dénoncer par la suite à la justice (CIC 31, 48 ; Liège, 27 juin 2003, Journal des Procès, 2003, n° 463, cité par FRANCHIMONT, p. 285, note 2). En outre, des images prises par un citoyen même en violation de la loi pourraient servir à prouver une infraction s’il n’y a pas de problèmes de fiabilité, si aucune loi ne déclare leur utilisation nulle et si leur utilisation ne porte pas atteinte au procès équitable (CIC, Titre préliminaire, art. 32 ; Cass., 14 octobre 2003, P030762N). Le droit au procès équitable de la victime pourrait primer sur le droit à la vie privée du policier suspecté (CEDH 6 et 8).